Interview pour SO FOOT
« ON REDONNE VIE AUX MAILLOTS, COMME LE PHÉNIX RENAÎT DE SES CENDRES »
Et si le football s’inscrivait dans le « monde d’après » ? Au vu des huit millions de tonnes de déchets versés par an dans les océans, Phénix Sport, un jeune équipementier basé à Nice, décide de donner un nouveau souffle aux maillots en prônant un modèle 100 % éco-responsable.
PROPOS RECUEILLIS PAR CHAD AKOUM JEUDI 2 JUILLET
« On redonne vie aux maillots, comme le phénix renaît de ses cendres »
Olivier Guigonis, 39 ans, est diplômé en droit, sciences politiques et finance. Il est spécialiste de la création d’entreprise et cumule 10 ans d’expérience dans la production textile et le monde du football professionnel. Son compère et comparse, Paul-Emmanuel Guinard, 29 ans, est lui diplômé de l’EM LYON Business School. Polyvalent, il est aussi bien à l’aise dans l’industrie du sport pour des marques (Salomon, Merrell) que pour des distributeurs (Intersport International). Entretien avec deux hommes engagés, mais surtout passionnés.
D’où vous est venue l’idée de lancer Phénix Sport ?
Oliver Guigonis : Même si le projet est vraiment tout jeune puisqu’il date du tout début du mois de juin, on avait l’idée de le lancer depuis plusieurs années déjà. Ce qu’on voulait, c’était devenir un équipementier sportif qui adopte une nouvelle règle de conduite et être au cœur de l’éco-responsabilité. Le confinement nous a poussés à réfléchir à comment améliorer les choses, « le monde d’après » comme on dit. On voulait proposer une offre complètement différente des équipementiers actuels.
Paul-Emmanuel Guinard : Ça fait bien deux ans qu’Oliver me parle de ce projet, mais avec nos études respectives, on n’avait pas encore le temps de s’asseoir pour mettre à plat toutes nos idées. On a donc profité d’être dans notre bulle avec la mise en place de la quarantaine pour mettre en place notre produits et ainsi travailler avec un super designer, ainsi que tout le business-model, qui va du recyclage à la distribution. Là où le confinement a pu être source de problème majeur pour certaines personnes, nous, il nous a permis de nous poser et de réfléchir aux problèmes actuels de société.
Pourquoi avoir choisi ce nom, Phénix Sport ?
PEG : En fait, c’est tout simple, comme notre but est de redonner une deuxième, voire une troisième vie à un maillot de foot, on a assez rapidement pensé au phénix, animal légendaire, très combatif et qui lui aussi ne cesse de renaître de ses cendres ! On a exactement le même combat, mine de rien.
De fait, à partir de quel moment vous vous êtes dit : « Ça ne peut plus durer, il faut qu’on bouge concrètement à notre échelle » ?
PEG : Moi qui ai eu la chance d’être au plus près de l’industrie du sport, quand je voyais des tas de vêtements s’empiler et finir à la poubelle, je me suis dit qu’il serait temps d’agir le plus vite possible, d’autant plus qu’on a déterminé que le football utilise énormément de textile. Le ballon rond nous parle beaucoup à tous les deux, et il fallait qu’on touche ce sport ultra populaire pour faire changer les mentalités. À partir du mois d’avril, quand on a commencé à tracer les contours de ce projet, on a tout de suite pensé aux conséquences, à la crédibilité et à l’impact social qui allaient être décuplés si on tape en plein dans le ballon.
« Il fallait absolument qu’on touche le football pour faire changer les mentalités. »
OG : Quand tu t’adresses à des associations sportives ou à des clubs, la durée de vie d’un maillot est extrêmement limitée. On parle d’une à deux saisons seulement. Derrière, le produit ne va plus être utilisable parce que le club a changé de logo, de sponsor, de couleur, d’équipementier, bref d’apparence physique globale. On parle de produits faits en polyester, qui n’est pas en soi une matière noble, ni riche. Ce n’est pas une matière qu’on va réutiliser. Une fois que le maillot a été utilisé, derrière on n’en fait plus rien, si on se dit les choses. On a constaté que les jeunes et les parents de licenciés dans les clubs conservaient au mieux les maillots dans un bac de recyclage, au pire ils les jetaient tout simplement. Alors oui, certains clubs acheminaient parfois des maillots en Afrique par exemple dans des centres de stockage, mais généralement, il n’y avait pas de logique qui était prise pour recycler le produit qui est simple et sans valeur. On ne parle pas de cachemire ou de laine importée. Tu achètes un maillot du PSG parce que tu aimes le club, mais en soi le maillot n’a pas de valeur.
Donc pour vous, dans vos esprits, il n’y avait pas de doute possible : football et recyclage, ça coule de source ?
OG : Exactement, les deux se marient bien ensemble. Pourquoi ? Dans la mesure où les clients sont des clubs et des associations, on travaille en fait en b to b. On ne travaille pas avec des consommateurs lambda qui achetent nos produits dans des grandes surfaces. Ils ont leur stock de maillots en fin de saison, ce qui représente 400-500 maillots environ. Du coup, il est assez « facile » de mettre en place avec eux une stratégie de recyclage, parce que ces maillots, ils les ont en leur possession, ils sont en mesure de nous les rendre. Comme quoi, un simple geste comme celui-là est déjà énorme pour l’environnement.
PEG : On s’est surtout inspirés d’une entreprise espagnole qui s’appelle Seequal qui travaille avec des pêcheurs. L’entreprise se charge de retrouver du plastique dans leurs filets de pêche. C’est le plastique qui vient à eux que l’on retrouve sur les poissons. Ils font fondre ce plastique pour en faire du fil de polyester qui devient du textile. Pour nous, c’est exactement une façon de changer le monde à une échelle humaine. On s’est tout de suite dit qu’on pouvait faire des maillots de foot avec ces matières. On avait déjà vu Adidas commencer à se lancer sur cette voie avec la Ligue américaine ou le Real Madrid. Mais on est sur des sociétés qui travaillent de manière linéaire, avec des productions asiatiques. Nous, à notre échelle, on peut déjà atteindre les centres de recyclage locaux, on peut même travailler à une échelle française de manière plus simple que peuvent le faire les plus grands acteurs du marché.
En France, il y a notamment l’OL qui s’est mis au vert en annonçant par exemple que l’ensemble de ses joueurs remplaceront sur le long terme leurs bouteilles d’eau par des gourdes recyclables. Ils ont même déjà conçu un maillot d’entraînement issu de bouteilles en plastique. Des avancées comme ça, ça donne envie d’encore plus accélérer les choses, non ?
PEG : Ça, c’est clair. Souvent, les projets comme ça viennent de tout en bas, mais quand l’élite du football décide de prendre ces thématiques au sérieux, ça ne peut que nous transcender davantage, clairement. En plus, quand on regarde ces changements avec un peu de recul, on se dit surtout que c’est à la portée de tout le monde ! Regardez les avancées significatives liées à la consommation de plastique. Si tous les clubs décident de s’y mettre, chacun à leur manière, on sera conquis. Ça peut passer par changer les gourdes, ou simplement renouveler l’eau de pluie, comme le PSG. Surtout, chacun a largement les moyens d’agir. Il n’y a plus qu’à.
« Quand on regarde ces petits changements, on se dit vraiment que c’est à la portée de n’importe qui. »
Contrairement aux plus gros équipementiers, Phénix Sport adopte un modèle circulaire, allant de la collecte des déchets marins au recyclage final. C’est le parcours du combattant pour le maillot entre deux, non ?
OG : La société Antex se charge en effet de recueillir l’ensemble des déchets que l’on retrouve dans les océans. Le plastique est par la suite broyé en granules. Elles sont par la suite fondues en filandreux. On en tire ensuite des fils qui servent à faire du tissu et notamment du polyester recyclé. Et à partir de ce tissu, on va en faire des maillots, des survêtements de sport. On applique la technique de la sublimation, c’est-à-dire que les encres seront à chaud dans la matière, ce qui est plus qualitatif que la sérigraphie du point de vue du respect de l’environnement. La sérigraphie et le flocage ne se recyclent pas. On va vendre par la suite nos maillots aux clubs de foot, et on fait une sorte de collecte via les collaborations que l’on a avec les différentes écuries. On leur dit simplement : « Rendez-nous les maillots que vous n’utilisez plus que vous avez eu chez Nike ou Adidas. » On les reprend et on les remet à notre société espagnole qui va les recycler à nouveau soit en textile, soit en nouveaux composants pour l’industrie. Ça peut être d’autres types de plastiques, qui peuvent aller dans l’automobile, dans le BTP par exemple. On ne se contente pas de vendre simplement des maillots à des clubs en s’arrêtant là. Tout au long de la durée du produit, on garde des liens avec les clubs. On est les seuls à récupérer des produits et à les remettre par la suite dans le système de recyclage.
Concernant prix, comment vous le définissez ? Vous avez l’objectif de tendre vers la production 100% française, les coûts de fabrication doivent gonfler, non ?
OG : On veut vraiment démocratiser notre offre à l’ensemble des clubs. Avec un leitmotiv : ne surtout pas être plus cher que n’importe quelle autre marque. On est pile au milieu du marché. On ne veut surtout pas que le client ait peur de sortir le porte-monnaie en faisant un geste éco-responsable. Au supermarché, si ta pomme bio est trois fois plus chère qu’une pomme classique, tu ne seras pas forcément tenté de l’acheter, même si le cœur y est. Le client qui partage nos valeurs n’aura jamais le frein du prix. Avec peu de marges, on essaie vraiment de proposer un prix le plus compétitif possible. On mise sur du long terme, on souhaite vraiment embarquer le consommateur dès l’achat du maillot, jusqu’à sa reprise plus tard. Pour les clubs qui le souhaitent, on a mis en place un système d’abonnement pour qu’ils paient au mois, et non pas à l’achat directement. On veut aussi préserver au maximum la trésorerie des clubs amateurs qui souffrent beaucoup de la crise sanitaire. On ne veut pas qu’ils paient de frais supplémentaires, et en les aidant, on tisse une sorte de partenariat sur le long terme.
Comment vous conceptualisez le design ? Vous interrogez directement des joueurs pour avoir des premiers retours ?
PEG : En fait, on travaille directement avec un designer qui s’appelle Clément Thiery, qu’on peut retrouver sur Instagram sur le nom de Saintetixx. Il bossait déjà sur des concepts de maillot et est en étroite relation avec des clubs de Ligue 2. Il a une vraie approche professionnelle, et depuis le début, on veut adapter ces contacts pros au football amateur. Pour le test du produit en lui-même, on a pas mal de potes qui jouent au foot et qui nous font des premiers retours. On a déjà des livraisons prévues pour le mois prochain, donc autant te dire qu’on est archi-motivés !
Vous travaillez avec quels clubs pour l’instant ?
PEG : On ne peut pas trop dire de noms, mais on travaille avec des clubs de niveau régional ou district, ça peut être pour des écuries de quelques dizaines licenciés à des centaines. On a aussi des clubs de futsal comme clients. Mais on ne se limite pas qu’au foot : on veut vraiment toucher à tous les sports. C’est pour ça qu’on travaille aussi avec des clubs de rugby ou de handball. On a commencé par le foot parce qu’on y a été bercé et qu’on est des lecteurs aguerris de So Foot, mais on veut avoir des clients les plus diversifiés possible !
OG : Juste pour compléter ce qu’a dit Paul, on est à l’état de production, donc tant qu’on n’a pas livré les maillots, on ne peut pas citer de noms. C’est une démarche un peu complexe, parce qu’il faut que l’on contacte les clubs concernés pour savoir s’ils veulent bien se faire connaître. Ces petites structures désirent souvent rester dans l’ombre. Mais on ne parle pas de l’OM ni du Barça, hein ! Et même pas le Stade Malherbe de Caen ! (Il rigole)
… Même si l’objectif sur le long terme est de travailler avec des clubs professionnels, je présume !
PEG : Oui, bien sûr ! Je travaille déjà dans le merchandising et le sponsoring, donc on peut déjà avoir des clients potentiels dans le monde professionnel. Mais on ne veut pas agir comme un équipementier classique en signant des gros contrats, il faut que ces clubs pros aient aussi une démarche éco-responsable. Quel que soit le domaine, quel que soit le sport, les pros sont quand même des vitrines. Les clubs amateurs que l’on sollicite sont déjà extrêmement engagés dans le respect de l’environnement, ce sont des gens qui partagent déjà notre façon de faire. On vise la barre des 150 clubs de foot sur deux ans et bien sûr, on reste ouvert à toute autre demande de tout sport. Soyons fous, soyons responsables !
PROPOS RECUEILLIS PAR CHAD AKOUM